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Lettres en blog
2 avril 2007

"Don Juan aux enfers" : éléments pour une L.A (épisode III)

III. La singularité du poème par rapport à son référent.

Certes, le premier signe de la transposition de l'oeuvre de MOLIERE par BAUDELAIRE  réside dans le passage à la forme poétique. Mais c'est surtout une relecture, à travers le prisme de sa propre esthétique, que le poète nous propose.

Chez BAUDELAIRE, la fin de Don Juan est l'occasion de réunir plusieurs des principaux protagonistes de la pièce. Aussi le poème peut-il se lire comme une conclusion, au seuil de l'au delà. n'est-ce pas aussi une façon de se positionner du point de vue du héros, qui semble alors, au moment de la mort, voir se dérouler devant lui les épisodes-clés de sa vie ? Le passage de l'espace baroque du dénouement d'origine à l'univers mythologique antique est l'occasion d'insister sur un moment fort, de bilan, avant l'entrée dans le monde des morts ("Charon", "l'onde souterraine" qui nous renvoit au Styx).

L'approche des personnages est typique de l'univers Baudelairien:

Le pauvre, si droit chez MOLIERE,  devient un personnage inquiétant : "Un sombre mendiant" (adj. et nom péjoratifs) à "l'oeil fier comme Antisthène" : on est loin de l'humilité du personnage modèle ! Sans doute faut-il lire la référence au philosophe cynique comme une volonté de donner au pauvre une attitude qu'il n'avait pas dans la pièce : il apparait ici comme un moralisateur assez agressif, ce que souligne le "bras vengeur". Mais qui le voit ainsi ? Don Juan, refusant toujours de voir la probité de sa victime ? Ou BAUDELAIRE lui-même, voyant dans le mendiant revanchard une sanction des dérives morales durant toute une vie?

Le regard sur les femmes est caractéristique : charnelles, elles s'exposent impudiques , "Montrant leurs seins pendants et leurs robes ouvertes", elles sont des tentatrices qui poussent au vice puisqu'elles sont des "victimes offertes". Ces images péjoratives se retrouvent dans la métaphore animale : elles se "tordaient" (v 6)tels des serpents, ou encore sont comparées à un "grand troupeau" (v 7) dont on entend le "long mugissement" (v 8). Cette bestialité n'est pas sans rappeler les évocations de femmes impures dans d'autres pièces des "Fleurs du mal" " ("La femme cependant, de sa bouche de fraise, / En se tordant ainsi qu'un serpent sur la braise, / Et pétrissant ses seins sur le fer de son busc (...)", extrait des "Métamorphoses du vampire").

L'insolent valet, mais triste à la mort de son  maître, devient un Sganarelle sarcastique, qui rit ouvertement de Don Juan, voit-il là avec satisfaction le châtiment des péchés, où joue-t-il simplement son rôle de bouffon , "en riant" (v 9) ? La présence fébrile ("avec un doigt tremblant", v 11) de Don Luis a été évoquée en II. BAUDELAIRE insiste surtout sur ce "fils audacieux" qu'il montre, et qui a osé se dresser devant son père  ("Le fils audacieux qui railla son front blanc.") Faut-il voir une allusion à la propre révolte de Baudelaire vis à vis de sa mère et surtout son beau-père, le général AUPICK ?

La pure Elvire est envisagée dans sa souffrance : le "deuil" qu'elle éprouve et qui la marque (elle "frissonne", v 13) a pour antithèse la douceur lumineuse du vers 16 : "Où brillait la douceur de son premier serment". Elvire est en quête d'absolu : elle semble réclamer un "suprême sourire" (v 15). Elle rappelle une image féminine marquante chez BAUDELAIRE, celle de la "passante" devant qui il tombe en adoration : "La rue assourdissante autour de moi hurlait. / Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse, / Une femme passa (...) extrait de "A une passante", Fleurs de mal, "Tableaux parisiens."

Enfin, le dernier quatrain confronte le héros à la statue: "Tout droit dans son armure, un grand homme de pierre" (v 17). Comme chez Molière, c'est le commandeur qui emmène Don Juan : c'est lui qui tient la barre sur le styx (le fleuve des enfers) : "Se tenait à la barre et coupait le flot noir". Mais peut-on vraiment parler de confrontation tant le personnage mythique semble ignorer son juge , puisqu'il "ne daignait rien voir" (vers de cloture) ? Rien ne parait en effet l'atteindre : alors qu'il souffrait physiquement chez MOLIERE ( " O ciel ! que sens-je ? Un feu invisible me brûle, je n'en puis plus, et tout mon corps devient un brasier ardent. Ah !", Don Juan ou le festin de pierre, Acte V, scène VI), il est ici très serein : "Mais le calme héros, courbé sur sa rapière" (v 19). L'antéposition de l'adjectif "calme" met en valeur cet état d'esprit. C'est donc avec assurance qu'il s'est  lancé dans son dernier défi (la rapière est en effet une longue épée à la lame fine qui servait en particulier dans les duels). Son "calme" est sans doute moins un dernier affront à ses victimes qu'un soulagement : lui qui a tant parcouru le monde pour y défier l'ordre moral va enfin trouver le repos...

CONCLUSION : Et bien oui, BAUDELAIRE propose une reprise du mythe et de la pièce Dom Juan . C'est une reprise au sens où comme nous l'avons vu, il y a de nombreuses références explicites à l'oeuvre de MOLIERE. C'est aussi au sens où c'est une relecture, ou encore une appropriation par le poète du mythe : il en assume les sources tout en y intégrant sa poétique, ses thèmes, ses préoccupations sur l'existence, la condition terrestre de l'homme confronté à ses passions, ses vices.

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Commentaires
L
Merci, cette explication m'a aidé à peauffiner un devoir de français^^. <br /> Bonne continuation ;)
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