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Lettres en blog
5 juin 2008

Fable ou histoire : des clés pour l'analyse (I)

"(...) l'assemblée,
Par l'Apologue réveillée,
Se donne entière à l'Orateur :
Un trait de Fable en eut l'honneur. "

Victor HUGO a, à l'évidence, retenu l'enseignement de LA FONTAINE, lui-même héritier du fabuliste grec ESOPE.  Dans "Le pouvoir des Fables", LA FONTAINE nous rappelle que

"Le monde est vieux, dit-on : je le crois, cependant
Il le faut amuser encor comme un enfant."

Aussi ne doit-on pas s'étonner que HUGO, dans son entreprise de dénonciation du régime de NAPOLEON III, ait choisi d'insérer aux quelques six mille vers des Châtiments un "trait de fable" avec "Fable ou Histoire". En effet, le poète réagit au coup d'Etat du 2 décembre 1851 : scandalisé par la trahison faite par le neveu de l'illustre empereur  à la République, horrifié par le sang du peuple versé dans les rues parisiennes sous les coups de feu de l'armée, Victor HUGO n'aura de cesse de laisser éclater sa colère et combattre un pouvoir illégitime et violent. Aussi doit-il s'exiler : il ne pourra rentrer en France qu'après 18 ans passés notamment sur les îles de Jersey et Guernesey. C'est de cet exil qu'il compose un ouvrage à la grande force polémique : Les Châtiments. L'ouvrage se décompose en sept livres. "Fable ou Histoire"est le troisième poème du Livre III : cette position dans l'oeuvre n'est pas sans lien avec La Fontaine comme il est précisé plus bas.

Ainsi pouvons-nous nous demander comment HUGO pastiche-t-il LA FONTAINE et, plus généralement, comment ce texte s'inscrit-il dans la tradition de l'apologue ?

I. Les éléments de la fable

La forme et l'énonciation.

C'est bien un récit que nous propose ici le poète romantique : les propos d'incipit "Un jour, ..." semblent renvoyer à l'univers du conte, comme s'il s'agissait de nous divertir en nous transportant dans un ailleurs intemporel. Ainsi le récit à la troisième personne met-il en scène un "singe" qui se "vêtît" d'une "peau de tigre". dès le vers 2 et qui prend la parole au vers 5.  Cette prosopopée confirme l'ascendance de La Fontaine, qui évoqua en outre un "Loup devenu berger" (Fables III,3) et encore "L'Âne vêtu de la peau du Lion (V,21). Les actions s'enchaînent au rythme des passés simples sur fond d'imparfait : "fut atroce" "se mit à grincer des dents", "Il s'embusqua", "Il entassa (...) égorgea (...) dévasta (...) "fit tout ce qu'avait fait la peau qui le couvrait".  "Il s'écriait" tandis que "Les bêtes l'admiraient, et fuyaient à grand pas". HUGO nous raconte donc bien des faits "commis" par ce singe.

Le recours à la fable pour susciter l'intérêt par le plaisir du divertissement est doublé par la mise en forme poétique : LA FONTAINE avait fait de l'apologue, écrit à vocation pédagogique et didactique dans la grèce antique  un genre littéraire en le parant des atours de la poésie : le poète ne pouvait que souscrire à cette démarche et donner toute sa force au discours par le choix de l'alexandrin, mettre des thèmes lyriques, mais aussi des sujets graves.

D'ailleurs, la vivacité du style doit beaucoup à la forme versifiée. Vingt vers suffisent à la charge contre le despote. Ils s'enchaînent rythmés par les rimes suivies, déclamant des phrases plutôt brèves, hormis quand elle retranscrivent les propos du singe abuseur. La césure à l'hémistiche ajoute à la régularité métronomique. On notera alors le bouleversement apporté par le rejet au vers 20 :

"Mit à nu ce vainqueur, /et dit : /"Tu n'es qu'un singe !"

                     6                        2                         4

Ce phénomène met alors en valeur la chute qui asseoit la sentance du mystérieux "belluaire" à l'égard de l'imposteur.

Le choix des personnages participe également à la dimension ludique de la fable

Comme chez La Fontaine les animaux symbolisent un caractère humain convenu et stéréotypé. Le "singe" est certes un animal "malin" mais il est surtout celui qui imite, répète : ne dit-on pas "singer quelqu'un" ?

En comparant Louis Napoléon à un singe, il affirme que ce dernier n'est qu'un caricature de son oncle. Or ce singe avait un "royal appétit" : on peut y voir une allusion aux ambitions de Louis Napoléon Bonaparte qui se fit élire président pour ensuite se proclamer empereur après le coup d'Etat. Pourtant ce singe trompeur va se déguiser en "Tigre" et non en "Lion" : Hugo écarte la noblesse du monarque fier regnant dignement sur les animaux pour choisir son sous fifre, le tigre, certes puissant mais subalterne, et surtout féroce. C'est un animal cruel et sans grandeur, tandis que  le Lion est puissant et majestueux.

D'ailleurs, le tigre sera ridiculisé par le "Belluaire", gladiateur justicier qui n'hésite pas à affronter le fauve et révèle la supercherie. C'est la seule figure humaine évoquée ici : avec lui, on quitte le monde animal pour retourner au monde des hommes. Il assure, en intervenant dans les trois derniers vers, la transition de la fiction au réel.

Tous ces éléments sont bien caractéristiques de la fable et de ses enjeux : divertir par un récit bref et plaisant, et porter une leçon sur notre monde.

Aussi, au prochain épisode, "Lettres en blog" vous proposera d'éclaicir la leçon et ses modalités en approfondissant la question de la dénonciation et de la satire dans "Fable ou Histoire".

A très vite !

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