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Lettres en blog
12 juin 2008

Les Mains sales, V,3 partie II :Hoederer , le révolutionnaire pragmatique

Les deux héros qui s'affrontent dans Les Mains sales de Jean-Paul Sartre, Hoederer et Hugo, incarnent la dichotomie entre la théorie et la pratique de la révolution. (voir ici au sujet de Hugo)

Poursuivons donc notre analyse :

II. Hoederer : le révolutionnaire pragmatique

Hoederer est un homme qui cherche à trouver les moyens de parvenir à ses fins, comme l'indique sa première réplique dans le passage que nous étudions (Tableau 5, scène 3) : "Aujourd'hui, c'est le meilleur moyen". Le meilleur moyen d'agir, de gagner et de changer le monde consiste pour lui, comme l'expose le passage précédent celui-ci, à faire alliance et à partager le pouvoir avec un parti dont il n'accepte pas la doctrine. En bon pragmatique, seul lui importe ce qui est efficace pour aller là où il veut, même si cela doit passer par des compromis. On retrouve plus loin cette tendance dans l'emploi du lexique de la négociation : "mes négociations" ligne 14, "ces négociations" ligne 15, "si nous traitons" ligne 26, "les pourparlers" ligne 28. Cette insistance sur ce champ lexical montre bien que ce personnage accepte une démarche qui peut l'amener à "lâcher du lest" sur ses idéaux initiaux, pourvu que l'action soit enclenchée. Ceci s'oppose aux "principes" (lignes 23 et 37) qu'il reproche à Hugo, qui font de ce dernier un être figé.

Or, c'est cette confrontation au réel qui renvoit directement au titre : "Moi, j'ai les mains sales. Jusqu'aux coudes". (Ligne 7). La redondance de la première personne peut être aussi bien pour Hoederer une valorisation de soi qu'une volonté forte de se distinguer de cet autre qu'est Hugo, et renforcer l'idée qu'ils ne sont pas dans le même camp. La métaphore  "plonge" le lecteur dans le bain de l'action, afin de lui faire comprendre que se battre pour des idées, si pures soient-elles, oblige à passer de la théorie à l'acte qui, lui, ne saurait rester pur. Ceci explique un vocabulaire violent, choquant et vulgaire : "Je les ai plongées dans la merde et dans le sang" (ligne 7). Cela signifie pour Hoederer une immersion nécessaire du révolutionnaire dans une réalité triviale. Dès lors, il ne lui reste plus qu'à formuler sa thèse, dans une question oratoire : "Tu t'imagines qu'on peut gouverner innocemment ?" qui pourrait être le sous-titre de la pièce.

Derrière ce discours provocateur se cache un goût pour la réalité, un amour du vrai, et donc un amour des hommes avec leurs qualités comme leurs défauts, qu'Hoederer veut opposer à l'idéalisme bourgeois et immature qu'il pense percevoir chez Hugo :

"Et moi, je les aime ( les = les hommes, NDLR) pour ce qu'ils sont. Avec toutes leurs saloperies et tous leurs vices. J'aime leurs voix et leurs mains chaudes qui prennent et leur peau, la plus nue de toutes les peaux." (lignes 44 à 46)

Cette insistance sur la dimension charnelle va dans le sens du désir de saisir le vrai de l'homme.

"Et leur regard inquiet et la lutte désespérée qu'ils mènent chacun à son tour contre la mort et contre l'angoisse" : on retrouve ici le discours existentialiste de Sartre. Les hommes sont confrontés à cette nécessité d'éprouver leur existence, à laquelle il leur appartient de donner du sens alors même qu'ils sont conscients que tout ceci est voué à disparaître dans la mort. C'est d'ailleurs ce qu'Albert CAMUS admire chez l'homme : quoi de plus beau que d'agir, que de s'engager dans le monde, et tout simplement d'exister alors que tout cela est finalement éphémère ( la vie est si courte !)

Aussi Hoederer proclame-t-il son amour du genre humain : "Pour moi, ça compte un homme de plus ou de moins dans le monde. C'est précieux." (lignes 47-48)

Hoederer est donc un pragmatique, puisque pour lui, seul ce qu'il est possible de faire et qui marche réellement donne du sens, mais il n'est pas pour autant aussi cynique qu'il voudrait le faire croire : si l'on ne peut pas "gouverner innocemment", s'il faut plonger ses mains "dans la merde et dans le sang", c'est pour sauver l'homme et changer le monde. Même sil se défend de s'en tenir à des idées, son discours laisse donc bien percevoir son idéal.

Au prochain post, des pistes pour la partie III.

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