Candide chapitre 1 : la critique de l'optimisme
Le précepteur Pangloss enseigne la « métaphysico-théologo-cosmolonigologie ». Derrière cette accumulation hyperbolique de références à des disciplines diverses (métaphysique, théologie, cosmologie) se cache une critique de l’Optimisme (le suffixe « nigo » insiste évidemment sur la volonté d’user de la dérision). Leibniz, philosophe allemand théoricien de l’Optimisme, était physicien, mathématicien, théologiste, chimiste, ingénieur, historien, diplomate, bibliothécaire... Qu’est-ce que l’Optimisme ? Pour Leibniz, chaque chose est déterminée par la fatalité en bien : « Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles" . Pangloss "prouvait admirablement qu'il n'y avait pas d'effet sans cause". Mais les exemples qu'il choisit sont discutables : « Remarquez bien que les nez ont été faits pour porter des lunettes ; aussi avons-nous des lunettes . Les jambes sont visiblement instituées pour être chaussées, et nous avons des chausses. Les pierres ont été formées pour être taillées et pour en faire des châteaux ; aussi monseigneur a un très beau château (…) ». Ces trois phrases sont construites sur le même modèle : la juxtaposition de deux propositions . Ainsi, la deuxième apparaît comme conséquence de la première : cette syntaxe met donc en évidence, sur la forme, un raisonnement logique . Mais la confrontation des deux propositions révèle l’absurdité des affirmations (les nez n’ont pas pour fonction première de porter les lunettes, pas plus que l’on a donné à l’homme des jambes pour qu’il puisse porter des chausses… Et plus encore : les premiers hommes avaient-ils des lunettes ? N’allaient-ils pas nus ? attention cela dit à ce dernier propos : évidemment, le lecteur lambda du 18ème n’est pas, et pour cause, au courant des théories évolutionnistes ).Le raisonnement de Pangloss –et de Leibniz- est absurde. Allons plus loin : Si ce monde est le meilleur possible, comment juger de la validité de l’exemple des lunettes et du nez : porter des lunettes n’est-il pas le signe d’un défaut de vision (et donc que tout n’est pas au mieux . PANGLOSS S’APPUIE DONC SUR LE DOGME OPTIMISTE et la DOCTRINE des effets et des causes de façon abusive : ses propos révèlent, nous le voyons bien, DES ABUS DE PRINCIPE ABSURDES. L’adverbe « admirablement » employé plus haut est donc IRONIQUE !Plus absurde encore est l’application que fait Candide de ce discours, du fait de sa naïveté et de la soumission à son maître : « Il concluait qu’après le bonheur d’être né baron de Thunder-ten-tronckh, le second degré de bonheur était d’être mademoiselle Cunégonde ; le troisième, de la voir tous les jours ; et le quatrième, d’entendre maître Pangloss, le plus grand philosophe de la province, et par conséquent de toute la Terre.». Voltaire dénonce donc une nouvelle fois l’abus de principe, comme le révèle l’hyperbole qui clos ce passage. Pour conclure, le discours de Pangloss tourne vite au ridicule , ce « philosophe » est d’emblée tournée en dérision. Le second degré est donc de mise, il frappe toutes les caractérisations de personnages dans cet incipit. Ces premières lignes du conte posent ainsi les fondements de l’œuvre : le choix du récit affirme la volonté de divertir et permet les aspects burlesques. Ce recours à l’imaginaire favorise les exagérations et la moquerie, qui repose largement sur l’ironie. Enfin, les thèmes sont déterminés : les abus de pouvoir et d’autorité , tant sur le plan social qu’au niveau intellectuel. C’est le sens de la critique du dogmatisme philosophique : l’optimisme d’école de Pangloss résistera-t-il en dehors de cet univers clos et illusoire qu’est le château de Thunder-Ten-Tronckh ? C’est aussi là une attente créée par ce premier chapitre.